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Presque Don Quichotte

Don Quichotte a quitté les pages du roman de Cervantès depuis longtemps. Il a navigué sans attaches, de siècle en siècle, jusqu’à nos jours où le nom est entré dans le dictionnaire des noms communs. Là, le chevalier errant a perdu sa singularité. On dit aujourd’hui : jouer les dons Quichotte. Plus universel tu meurs, aurait peut-être commenté Sancho.

Pour y voir plus clair, Jean-Claude Gallotta a choisi d’amputer l’œuvre de sa figure centrale. Le plateau de Presque Don Quichotte est plus désert encore que la Mancha, du moins n’y voit-on pas trace de chevalier. Disons que le fou errant est fatigué, qu’il s’est assoupi à l’ombre d’in cervantier et qu’il laisse la scène se peupler de ses visions, de ses souvenirs, de bribes de rêve et de réel entremêlées : une longue épée de bois, une bagarre, une conversation, les fantômes de femmes trop belles, un bout d’enfance, quelques gris-gris de voyage.

C’est l’heure où il se souvient de ses combats. Combien en livra-t-il ? Vladimir Nabokov les a comptés : le vieil hidalgo en gagna autant qu’il en perdit. Ce qui tiendrait à démontrer qu’Alonso Quijano n’était pas un héros, de ceux qui ne perdent les combats intermédiaires que pour gagner la lutte finale, mais bien un homme de constitution normale, avec lance au côté et élancements dans la tête ; un être venu de nulle part sans doute, dont on ne se souvient pas qu’il naquit, ni quand ni où, mais qui, c’est sûr, mourut en homme, dans son lit.

Don Quichotte s’est bien battu, s’est bien dépensé. Depuis trois cents ans, sa silhouette de picaro et de Picasso n’a cessé d’envoyer quantité de messages gestuels. Ses aventures sont un véritable opéra sémaphorique, et la danse ne pouvait qu’y trouver matière. Dès lors, Jean-Claude Gallotta et ses huit danseurs n’illustrent pas la fable, ne l’adaptent pas, ne la racontent pas. Ils découvrent en eux la même folie vitale que ce vieil enfant mythique qui eut toutes les audaces, et s’en émerveillent. Avec lui, ils partagent le goût d’aller taquiner le réel pour se sentir vivre. Ils pourraient lui emprunter nombre de ses aphorismes, celui-ci par exemple : « La plus grande folie que puisse faire un homme en cette vie c’est de se laisser mourir ».

Claude-Henri Buffard