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Les trois voiles d’Europa

Genèse du projet

Le projet est né du jumelage entre Grenoble et Essen, très actif et très dynamique, et des nombreux échanges culturels existant entre les deux villes. Après des échanges d’enseignants puis d’élèves du Conservatoire de musique de Grenoble (classe de danse) et de la section danse du Lycée Essen-Werden (Allemagne), les deux écoles, auxquelles s’est jointe l’Ecole de danse de Bytom (Pologne), se sont rassemblées pour travailler autour d’un projet commun avec le chorégraphe Jean-Claude Gallotta. Au total, ce projet concerne 36 élèves. L’objectif initial de ce travail, qui a commencé il y a plus de trois ans, était de présenter une chorégraphie commune en 2010 dans le cadre de la programmation de Rhur 2010, Capitale européenne de la Culture.

Le spectacle a été proposé au public à Essen le 14 juillet dernier, en présence de Bernard Betto, Adjoint au maire de Grenoble, délégué à l’Europe. Devant le succès obtenu, les Polonais ont souhaité accueillir le spectacle et tous les danseurs à Bytom. Deux représentations ont eu lieu pendant les vacances de la Toussaint 2010.

La représentation le 15 janvier 2011 au Palais des Sports de Grenoble dans le cadre des Voeux de la Municipalité aux Grenoblois achève cette « tournée ». Le Conservatoire a été soutenu dans ce projet par la Ville de Grenoble et le Centre Chorégraphique National de Grenoble (CCNG).

Avec le chorégraphe Jean-Claude Gallotta, les jeunes danseurs ont travaillé autour de la figure d’Europa, déesse tutélaire des peuples destinés à vivre ensemble aujourd’hui.

Intitulée les Trois voiles d’Europa, cette chorégraphie est composée de trois parties portant les noms des trois fils d’Europa, Rhadamante, Sarpedon et Minos et entrelacées à des séquences filmées empruntées au cinéma de Federico Fellini, grand artiste européen, que Jean-Claude Gallotta compte parmi ses modèles. L’ensemble des jeunes interprètes se retrouve dans un final blanc, gris et noir, proposant ainsi, par le jeu des couleurs, un drapeau qui n’existe pas, le drapeau des peuples européens qui auraient conscience qu’ils représentent un rassemblement encore énigmatique où ce qui les distingue cohabite respectueusement avec ce qui relie.

Devenir-ensemble

Les chorégraphies de Jean-Claude Gallotta sont des hommages, à des figures mythiques ou légendaires (Daphnis et Chloé, Ulysse, Pandora, Roméo et Juliette, Don Juan, Don Quichotte, Marco Polo, Nosferatu), à des personnages imaginaires (Ivan Vaffan, Docteur Labus), à l’ami disparu (Yves P.), au musicien persécuté (Pavel Haas), à des groupes humains inventés (Mammame, Les Survivants, les Kreuls dans le film Rei Dom), à Mathilde Altaraz (Rue de Palanka, l’Incessante), à ses interprètes (la Solitude du danseur), aux figures mêmes de la danse (Pas de deux,99 duos), au genre humain (Trois Générations, Des Gens qui dansent,Chroniques chorégraphiques). Chaque spectacle est une marque de vénération envers la vie, envers les vivants. Pour Jean-Claude Gallotta, danser c’est donner. Si toute main tendue est geste chorégraphique, inversement tout geste chorégraphique est pour lui une main tendue. Cela pourrait être une première façon de situer le chorégraphe : il se tient résolument du côté de la vie. Dans la jubilation, et même dans l’allégresse. Ceux qui l’ont vu en répétition dans le studio savent que cet enthousiasme n’est pas une simple couleur donnée à ses spectacles, que son travail quotidien avec les danseurs en est totalement imprégné. Mais si la danse est pour lui un acte généreux, si le studio est moment joyeux, ce n’est pas parce qu’ils seraient des refuges, à l’abri des fureurs du monde. Au contraire. Si Jean-Claude Gallotta a choisi aujourd’hui d’intituler son spectacle les Trois voiles d’Europa, c’est bien parce que l’Europe le questionne, qu’il s’interroge sur ce qu’on appelle en français « le devenir-ensemble ». Que devenons-nous ensemble, en effet, nous, peuples de l’Europe ? La danse est un bel outil pour se poser la question. Celle-ci et toutes les autres : avons-nous tant envie de le vivre ensemble le siècle qui vient ? En sommes-nous si sûrs ? Si oui, que faisonsnous pour cela ? Alors, à leur façon, Jean-Claude Gallotta et sa compagnie ont eu envie de s’y essayer. Avec des enfants et adolescents de trois villes d’Europe, des villes jumelées mais pas forcément jumelles, des villes qui n’ont pas connu et ne connaissent pas le même destin. Mais qu’importe. Ce qu’il fallait au chorégraphe c’est de la vie, rien que de la vie, de jeunes danseurs prêts à opposer à toutes les menaces qui pèsent sur eux (la crise, les pollutions, le chômage,...) les forces de l’amour. Chez Jean-Claude Gallotta, c’est la vitalité de l’amour qui catapulte les corps dans l’espace, les envoie rouler-bouler au sol ou les projettent les uns contre les autres. Avant toute chose. Et depuis ses débuts. Ce faisant, il s’est ouvert un champ chorégraphique infini. Pendant de longues années, son Groupe Emile Dubois a fondé son originalité, sa pratique et son éthique sur cette idée que la danse peut naître de tout, et partout, à partir de n’importe quelle notion, de n’importe quelle image, de n’importe quel lieu, de n’importe quel corps, fut-il non danseur. C’est dire si aujourd’hui sa danse peut embrasser l’Europe toute entière sans exclusives et sans parti pris.

Les Trois Voiles d’Europa ne raconte pas d’histoire. La danse de Jean-Claude Gallotta n’illustre pas. Ce spectacle est une évocation. Il prend racine dans notre mythologie commune, celle qui nous a fondés, celle qui fait que nous, allemands, polonais, français, ne sommes pas totalement étrangers les uns aux autres. Dans les trois parties du spectacle, nos trois peuples sont symbolisés par les trois fils de Zeus et d’Europa, Minos, Sarpédon, Rhadamante. Mais ce spectacle a aussi des racines plus récentes, qui ont tout autant forgé l’âme et la culture du chorégraphe : le cinéma, et plus particulièrement Federico Fellini. Voici donc trois extraits de films des années 60-70 qui viennent s’entrelacer avec les trois danses pour, en quelque sorte, mettre le spectateur sur la voie de l’émotion. C’est ainsi que se construit une chorégraphie de Jean-Claude Gallotta. Réminiscences, sens à peine suggéré, évocations, tour à tour, effleurent la danse, la provoquent, s’immiscent en elle, la bousculent, cherchant à tresser avec elle un même tissu scénique ; alors, la chorégraphie, parfois avec l’aide du texte, oscille entre narration et abstraction, offrant les deux images à la fois, sans résoudre l’une ni dissoudre l’autre. La danse de Jean-Claude Gallotta est alors une imperceptible et incessante oscillation entre abstraction charnelle et empoignade spirituelle.

Claude-Henri Buffard Mai 2010